L'économie, la souveraineté et l'outil ; le renouvellement de la « collectivité »

Construire mieux ce qui vient va nécessiter une solidité économique – les nouvelles technologies doivent servir cette perspective.



L'exemple d'un confinement mieux supporté ?

En avril 2020, le journaliste Eric de la Chesnais a mis en avant, dans Le Figaro, l'intégration heureuse des TICs dans l'activité d'un petit village de l'Aveyron depuis la fin des années 90 – il s'y est, entre autres, développé une « zone d'activité numérique » abritant des entreprises et un espace de co-working. L'article vante notamment l'utilité des services proposés par une coopérative travaillant dans les multimédias, qui a permis, dans le contexte particulier du confinement, une meilleure gestion des stocks pour les producteurs locaux.



Le rôle de l'administration

La pandémie place la transition numérique au cœur des débats ; la France, dans ce secteur, connaît un retard souligné par divers journalistes, chercheurs et personnels de l'administration (et sur les enjeux du numérique, Frédéric Martel, aux commandes de Softpower sur France Culture allie esprit critique et super connaissance). A la faveur du confinement, les avantages de la communication à distance (l'échange par exemple de contenus humoristiques) tout comme ses limites (l'accumulation et la pression qu'engendrent ces outils) ont été vus, repris, discutés.


Le Rapport sur les identités numériques, remis au Ministère en juin 2020, cible 35 actions après consultation de citoyens et d'experts afin de mettre en place une identité numérique en accord avec les principes républicains.


De fait, les technologies numériques représentent un secteur crucial ; l'information, dans le monde globalisé et interdépendant, comme dans ses réalités locales, est au fondement d'une action raisonnée (« ose savoir » disait Kant !).


Plusieurs critiques, accusations et réserves sont exprimées ; à trop s'en remettre aux technologies se perdrait la notion d'un contact social direct, de l'entraide, d'un rapport « authentique » au monde (ces critiques sont notamment exprimées dans le champ scientifique par la voix de S. Turkle). Des collectifs, comme Pièces et Main d'oeuvre à Grenoble, tranchent même en faveur d'un refus beaucoup plus radical des outils automatisés ; à lire l'article du Monde du 19 août 2020, « Gauche : mauvaises ondes autour de la 5G », ces derniers entendent rejeter la facilité mécanique pour valoriser l'humain.


Dans ce contexte, et parce que l'inégalité des territoires face à ces ressources est répétée et tout à fait discriminante en termes d'opportunités, les recommandations faites dans le rapport proposent des solutions et donnent (si besoin était) tout son sens au maillage territorial.


Au vu de la nouveauté de ces outils (les smartphones datent de la fin des années 2000) et dans une optique civique, il paraît essentiel de rappeler le rôle des interlocuteurs humains, maîtrisant les circuits et procédures de ces circuits d'information préprogrammés et pouvant orienter (selon leur motivation et sens des responsabilité !). Quiconque s'est essayé à l'explication de sa situation particulière aux banques, transports et assurances peut apprécier la médiation des agents lorsque le cas sort des cases - et l'homme ou la femme qui font traverser les enfants sur le passage clouté a souvent une remarque, un encouragement, une reprise à même de faire de ces interactions quotidiennes des moments sûrs et éventuellement encourageant ou amusant.


Cela étant dit, l'informatique et les technologies numériques apportent une capacité de traitement d'information fantastique. Les chercheurs du Centre du Digital Business du MIT démontrent dans Des Machines, des plateformes et des foules, les ressources du numérique, notamment en termes d'expressions libérales et démocratiques. L'alliance machines intelligentes et humains permet principalement une capacité de collection d'information, d'articulation de celles-ci et une proposition de modèles/pronostics. Actuellement, le recours à ces possibilités d' « intelligence augmentée », s'avère en l'état laissé au libre-arbitre individuel ou aux structures professionnelles. Or, dans une optique républicaine d'égalité des chances, l'insistance à se former à ces nouveaux outils paraît de mise, d'autant plus lorsque l'éducation et les formations sont perçues comme un marché.


En cette drôle de période, d'affrontement de modèles et de risque prononcé de cohésion sociétale, la thèse des deux chercheurs est d'autant plus intéressante, qu'en économistes, A. Mc Afee et E. Brynjolfsson questionnent la production de la valeur ; « innovation », « imagination », « performance » sont bien sûr des enjeux forts dans ce domaine. En tant que chercheurs, ceux-ci rappellent toutefois les fruits attendus de ces notions (une meilleure santé, un plus grand choix, etc.), et notamment le renforcement de capacités individuelles, une facilitation de coordination et des prises de décision mieux averties.


La fin de l'étude invite également, dans les circonstances actuelles, à apprécier les mérites de l’État à la française. Ils y soulignent en effet la stabilité relative que nécessite le cours d'une valeur pour être fiable – et « valeur » est ici à considérer comme principe économique, reposant sur l'échange entre deux parties. Trop de turbulence (ou de « disruptif ») engendre plutôt chaos et effondrement. L'administration française, mondialement connue - et avec sa lenteur, ses erreurs et limites - permet un cadre de vie dont bénéficient plusieurs collectivités (avec les bibliothèques, les centres culturels, les centres sociaux, les aménagements comme les parcs, les espaces sportifs etc.) et qui restent enviables à bien des égards.


Valeurs


La crise du Covid ravive le fossé grandissant entre différents groupes de population – polarisation entre centres urbains dotés et territoires désaffectés. Plusieurs initiatives ont été prises par les médias et établissements de recherche pour relever et comparer les aspirations et attentes citoyennes (voir par ex. la consultation organisée par TF1, LCI, Sciences Po et Bluenove et Cognito). Par rapport à ces considérations – et puisque l'opinion des uns et des autres importe en démocratie – les TICs sont à la fois un moyen et un canal puissant de démocratisation. Les initiatives et mouvements des places publiques sont un mode connu, éprouvé et efficace en termes de sédimentation et conquête de droits sociaux – faire advenir les revendications en droits suppose toutefois un processus juridique républicain. Les TICs, sont, de part et d'autre, des outils ; pour l'ensemble des parties, elles peuvent faciliter les requêtes comme les transactions, à condition d'en maîtriser le fonctionnement.


La population française a également pour elle un attachement prononcé à un mode de vie – dont, notamment, certains rituels de vivre-ensemble – que cela soit les séminaires, les repas familiaux, les associations de quartier – qui opposent à l'individualisme des principes plus généreux. La mise en avant de plus de frugalité, d'une responsabilité partagée pourrait permettre aussi de construire cet avenir collectif ; technologie et raison peuvent aller de pair, ou du moins, je suis de celles et ceux qui en désirent l'alliance. 

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