Penser à différentes échelles - expressions de crise
Avec le risque, les comportements de repli et de protection rapprochée dominent dans les espaces sociaux. Les différentes autorités (gouvernements, institutions et figures intellectuelles) décrivent à la fois les tensions qui se dessinent entre les États, le recentrage (ou retour malheureux) d'un esprit national et l'intérêt (et d'ores et déjà réalité) d'une coopération à l'échelle mondiale.
Le discours d'Elizabeth II, le 5 avril 2020, à l'âge de 93 ans, est admirable de foi et d'encouragement au civisme; elle rappelle les situations extrêmes rencontrées par la population britannique dans le passé, les efforts faits collectivement et les quelques signes positifs, en termes de collaboration internationale, qui ont accompagné la propagation de la pandémie.
Plusieurs autres discours (de l'historien Yuval Noah Harari, de l'économiste Esther Duflo) insistent sur la coopération internationale nécessaire. En République démocratique du Congo, le Coronavirus va arriver alors que la population, les ONG et les représentants sont dans certaines régions encore à pied d’œuvre pour endiguer Ebola. En même temps, les journées de confinement dans plusieurs pays européens éprouvent les liens tissés avec les proches, les relations professionnelles et brouillent les seuils de tolérance quant à l'acceptation des contraintes. Avec ces risques se démarquent différents rapports au territoire et sentiments d'appartenance. La mise à mal des habitudes libérales et l'individualisme qu'elles mettent en œuvre fait saillir ces divergences, notamment sur les échelles d'action : faut-il faire pour la famille, pour la commune? Faut-il penser en termes d’État ou pour l'Union Européenne? Faut-il voir mondial et œuvrer pour une sécurité globale en considérant les interdépendances comme installées et les grandes institutions comme des agents à même d'articuler des réponses appropriées aux crises ?
L'historien Yuval Noah Harari mettait en avant la discussion scientifique comme le grand recours face aux pertes humaines et aux situations dramatiques que cause la pandémie (article du Monde du 7 avril 2020). Cette coopération paraît essentielle, souhaitable et il y a bien dans le fonctionnement académique scientifique cette volonté de construire et transmettre. En revanche, le processus d'analyse, la production de données signifiantes et l'interprétation des résultats seront également soumis à des discussions, à des controverses. Autour des éléments de preuve, une équipe esquisse différents modèles, réfléchit à plusieurs hypothèses - les travaux de Catherine Allamel Raffin (comme par exemple cet article) en épistémologie des sciences montrent bien la complexité et la construction du raisonnement scientifique. Évoquer une information circulant à grande échelle et transparente, comme le fait l'historien, atténue le rôle décisif de la façon dont sont recueillies, comprises et agencées les données partagées. La compréhension de la spécificité de ce virus, de son fonctionnement type suppose également une durée, qu'il faut peut-être davantage intégrer dans les représentations produites à l'égard de la pandémie, dans la façon dont on communique sur celle-ci.
Les scientifiques, le corps médical, les dirigeants politiques sont certes des acteurs majeurs quant à la diminution du risque et à la situation sanitaire. Dans les sociétés démocratiques occidentales, comme dans plusieurs autres communautés, les individus sont également les agents premiers de leur sécurité. En cette période trouble, il semble très important d'apprécier et prendre la mesure des efforts répétés par les populations, par les individus pour maintenir un collectif.
Les astreintes liées à la la protection de la santé personnelle, la vigilance maintenue pour appliquer les "gestes barrières", le respect du confinement, la conscience des répercussions économiques, l'inquiétude pour les proches et personnes vulnérables sont autant de préoccupations et d'entraves avec lesquelles les individus bataillent. Dans cette mobilisation généralisée contre la pandémie, il faut se souvenir de ces réalités collectives façonnées par les proximités citoyennes, et de la force vibrante, active de tout un chacun.
Sources :
The Queen's Coronavirus broadcast : "We will meet again" - BBC, https://www.youtube.com/watch?v=2klmuggOElE
Yuval Noah Harari "La coopération est le véritable antidote à l'épidémie", Le Monde, 7 avril 2020
"Pour l'économiste Esther Duflo il n'y a «absolument pas à s'inquiéter de la facture» face à la crise sanitaire", Le Figaro le site web, 31 mars 2020
Allamel Raffin "Le texte et l'image dans la formulation de la preuve en physique des matériaux", Revue d'Anthropologie des connaissances, 2010
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